Le jeu de l’amour et du hasard
UNE VERSION RESSERREE, IRRESISTIBLE ET PROFONDE,
UN TEXTE CLASSIQUE D’UNE ÉTONNANTE MODERNITÉ
Peut-on entrer en relation avec une personne qui n’est pas de la même condition sociale que soi, qui n’a pas reçu la même éducation ? Comment faire la différence, dans le rapport amoureux, entre ce qui est du domaine du désir charnel et le sentiment amoureux ? Peut-on reconnaître cette différence si on ne se connaît pas soi-même ? Quelle place est donnée au
sentiment, au désir et à la pensée de la femme dans le rapport amoureux ?
Voilà les questions que j’ai souhaité porter dans ma mise en scène du « Jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux.
Les questions que nous portons n’ont pas disparu depuis le démarrage de la crise sanitaire. A la lumière des dérives, tristements d’actualités, relayées par les médias nationaux, je crois qu’il est plus que jamais essentiel de nous permettre de cheminer autour des questions de l’amour pour mettre à distance et pouvoir en échanger. Le texte classique écrit par
Marivaux au XVIIIème siècle est un support extraordinaire pour aborder ces questions.
« Les retours des élèves étaient unanimes : conscients de leur privilège de pouvoir prendre place dans une salle pour y goûter les joies du spectacle vivant, ils n’ont pas vu passer les 55 minutes qu’a duré ce dernier, captivés par le jeu comique d’Arlequin dans son imitation maladroite du style raffiné des aristocrates, mais également par l’audace du personnage de Silvia, refusant le mari qu’on lui impose, ou bien par la bonhomie du père qui oeuvre en cachette pour le seul bien être de sa fille. Ils ont par ailleurs été touchés par l’évolution des sentiments des personnages qui, dépassant, en apparence au moins, les déterminismes sociaux, dans de subtiles quiproquos, croient tomber amoureux d’une personne de milieu différent et s’en accommodent, avant d’abaisser leur masque pour un final réjouissant. » Equipe pédagogique collège Notre-Dame de la Clarté à Plémet, mars 2021
Le spectacle
Sylvia, jeune noble, est promise à Dorante. Mais elle n’est pas décidée à se marier avec un homme qu’elle ne connaît pas. Afin de découvrir le vrai tempérament de Dorante, elle propose à son père, Monsieur Orgon, de prendre la place de sa coiffeuse, Lisette, et demande l’autorisation pour que celle-ci se fasse passer pour elle. Ce que Sylvia ignore, c’est que Monsieur Orgon a été informé par le père de Dorante, que celui-ci a imaginé le même stratagème pour les mêmes raisons.
Note d’intention pour la mise en scène : du désir au sentiment amoureux !
Et si le « coup de foudre » réciproque de Dorante et Sylvia dès leur première rencontre était provoqué par le désir ? Confrontés à ce « premier état » et face à une situation où rien ne se passe comme prévu, Dorante et Sylvia ne finissent-ils pas par transformer les émois de leurs sens en véritable sentiment amoureux ?
« Le jeu de l ‘amour et du hasard » me semble présenter une série de quiproquos. Quiproquos quant à la prétendue condition sociale des personnages : Dorante pense être tomber amoureux d’une servante, Sylvia d’un valet ; Arlequin et Lisette croient aimer un noble. Quiproquos quant à celui que chacun est supposé choisir comme futur conjoint : Dorante n’a d’yeux que pour Sylvia, déguisée en servante alors qu’il devrait convoiter Lisette qui joue le rôle de Sylvia ; Arlequin, qui prend la place de Dorante, ne regarde que Lisette et semble ignorer complètement Sylvia – Marivaux ne nous expose-t-il pas des personnages incapables, malgré leurs déguisements, d’échapper à leur éducation, à leur rang social ? (aspect inévitable du conditionnement éducatif et social qui entraîne l’individu a se retrouver séduit par celui ou celle qui correspond aux schémas construits par ce conditionnement : les valets tombent amoureux des valets, les maîtres des maîtres, et ce, malgré la supercherie du travestissement.) Sylvia, Lisette, Dorante et Arlequin tombent, dès la première rencontre, amoureux de la personne qui correspond à leur condition. – Quiproquos quant à la nature réelle de leurs sentiments : chaque personnage est sous le charme de l’autre dès le premier regard, sans connaître le caractère de l’être aimé.
Tout est malentendu dans « Le jeu de l’amour et du hasard » ! En partant de ce postulat, j’ai souhaité traduire l’évolution que les personnages ressentent : du désir en sentiment. Les comédiens sont au départ dans une rencontre physique, comme mûs par leurs seuls désirs : Acte I, scène VII pour Sylvia et Dorante : Dorante : (…) ta maîtresse te vaut-elle ?
Elle est bien hardie d’oser avoir une femme de chambre comme toi. Sylvia : J’avais de mon côté quelque chose à te dire ; mais tu m’as fait perdre mes idées aussi à moi. Acte II, scène III pour Lisette et Arlequin : Arlequin : (…) un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau ; votre premier coup d’oeil a fait naître le mien, le second lui a donné des forces, et le troisième l’a rendu grand garçon ; tâchons de l’établir au plus vite. Lisette : Trouvez-vous qu’on le maltraite, est-il si abandonné ?
Arrive finalement la manifestation du sentiment : Acte III, scène VI pour Lisette et Arlequin : Lisette : (…) Venons au fait ; m’aimes-tu ? Arlequin : Pardi oui, en changeant de nom, tu n’as pas changé de visage, et tu sais bien que nous nous sommes promis fidélité en dépit de toutes les fautes d’orthographe. Acte III, scène VIII pour Dorante : Dorante : (…)
Tes paroles ont un feu qui me pénètre, je t’adore, je te respecte, il n’est ni rang, ni naissance, ni fortune qui ne disparaisse devant une âme comme la tienne ; j’aurais honte que mon orgueil tînt encore contre toi, et mon cœur et ma main t’appartiennent. Acte III, scène dernière pour Sylvia : Sylvia : (…) jugez de mes sentiments pour vous, jugez du cas que j’ai fait de votre cœur par la délicatesse avec laquelle j’ai tâché de l’acquérir.
L’utilisation de l’espace traduit également cette évolution. Au démarrage, Lisette et Sylvia arrivent du public, comme pour entraîner les spectateurs dans cette aventure. Les comédiennes évoluent ensuite au nez de scène, espace réduit, symbole de l’état de conscience des personnages au début de l’intrigue. Au gré des prises de conscience, l’espace s’élargit, des rideaux s’ouvrent pour découvrir deux portes miroirs. Les personnages se retrouvent alors confrontés à leurs reflets, procédé qui leur permet d’observer le décalage entre ce qui est dit et ce qui est réellement ressenti.
Au final, les masques tombent pour Dorante et Sylvia, les portes s’ouvrent sur un espace intimiste, représentation de l’intimité de leurs cœurs. « Le Jeu de l’Amour et du Hasard » c’est aussi le théâtre dans le théâtre : chacun joue à être un autre que ce qu’il est. J’ai souhaité donner corps aux représentations intellectuelles que chaque personnage se fait de l’autre.
Lisette et Arlequin jouent à être des nobles : leur « interprétation » est large, à la limite de la caricature. Pourtant, ils trahissent régulièrement leur condition véritable. J’ai souhaité traduire ces idées reçues à travers les directions données aux comédiens : travail de la posture (valet/maître) ; jeux de maintien et de perte de cette posture (perte qui trahit la réalité de la condition sociale de celui qui joue à être un autre) ; travail sur les accents liées aux différentes conditions sociales. Hervé Richardot Directeur artistique, Metteur en scène